par — Eduardo Muylaert
Un frisson. Chaque
fois que j’arrive à Paris c’est comme si c’était la première et la dernière
fois. D’abord il y a eu le rêve, le songe de la ville dite Lumière, cliché plus
qu’imparfait. Non, ce n’est pas la bohème de Montmartre, ses maisons closes,
ses spectacles de travestis, qui m’ont fait venir. Ce sont plutôt les mémoires
de Henry Miller et Anaïs Nin, Man Ray et Lee Miller, Picasso et Dora Maar, où
bien Bataille et Dora Maar, ou encore le docteur Jacques Lacan et les électrochocs
qui ont enlevé toute joie de sa cliente Dora Markovitch. Sartre et Simone, on
peut toujours les lire. Barbara et la Greco, on peut toujours les entendre. Le
quartier Latin, on peut toujours le parcourir, même si ce n’est plus celui de
jadis. Mais pour connaître Paris il faut voir tomber la pluie qui remplit de
reflets les rues, les trottoirs et la Seine, mouille la tête des passants et
fait surgir les parapluies qui se frôlent agressifs ou tendres, tout comme le
font hommes ou femmes. Au-delà des lumières, solaires ou sereines, il y a surtout
les ombres, effrayantes ou parfois aimables, qui suggèrent au lieu d’exhiber,
qui montrent qu’il faut s’engouffrer dans les mi- teintes pour apprendre à
voir, à comprendre, à sentir. Modiano, pour moi c’est le plus parisien des
écrivains, les rues et les cafés qu’il décrit sont plus réels que ceux que je
vois. Parcourir ses livres c’est se plonger dans l’histoire, remémorer les
menaces et tristesses du temps de la deuxième guerre, que loin d’être mortes essaient
toujours de se réveiller pour nous tourmenter. Il faut lire Camus, c’est un bon
vaccin contre l’autoritarisme et la bêtise. Et apprécier Molière, nos points
faibles sont les mêmes dès l’Ancien Régime, vanité, avarice, misanthropie. On
dit que l’incendie qui a ravagé Notre Dame est un signe du temps, peut être un
dernier avis à une humanité qui n’a pas réussi à vaincre la famine et la
guerre, et qui au contraire commence à détruire les dernières ressources que
nous nourrissent depuis des siècles. Je ne sais pas si nous avons encore du
temps. Je pars ainsi avec une autre espèce de frisson. Hélas.
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